En avril 2012, Peugeot s’est retiré du marché iranien sous la pression de son nouvel actionnaire General Motors et de United against nuclear Iran, un organisme piloté par les services secrets américains, britanniques, allemands et israéliens[1].
Le constructeur au lion a ainsi perdu un marché à l’export rentable et
en croissance qui aurait pu l’aider à surmonter la conjoncture
européenne déprimée.
Le 26 juillet 2013, Carlos Tavares, directeur général délégué de Renault, annonçait que « le Président Obama a donné l’ordre de cesser l’activité en Iran »[2].
En cause, le renforcement des sanctions de Washington à l’égard de
l’Iran et la menace de rétorsion contre Nissan sur le marché américain
en cas de poursuite des affaires iraniennes de Renault.
1) Le retrait de Peugeot et de Renault
d’Iran, sur ordre des États-Unis et sans contestation du gouvernement
français, est une nouvelle manifestation de la soumission de la France
aux diktats américains.
1.1.- L’abandon de l’industrie française
Le gouvernement français n’a pas contesté le renforcement des
sanctions contre l’Iran décidées unilatéralement par Washington, en
dehors de tout cadre légal international. Que le directeur général
délégué de Renault note, non sans ironie et sans amertume, qu’il reçoit
ses ordres du Président américain en dit long sur le renoncement des
autorités françaises à défendre les intérêts et les emplois de
l’industrie tricolore.
L’abandon forcé du marché iranien par les constructeurs automobiles français est d’autant plus tragique :
- qu’il clôt une présence vieille de 34 ans, établie en 1978 lorsque Peugeot avait racheté les actifs de Chrysler Europe[3],
et qui avait survécu à l’avènement du régime islamique en 1979. Cette
implantation historique avait permis aux marques de PSA de conquérir 30%
du marché iranien[4]. Les firmes automobiles américaines sont, pour leur part, absentes d’Iran ;
- qu’il accentue l’effondrement du commerce extérieur français déjà très déficitaire[5]. Peugeot a exporté des pièces détachées pour 450.000 véhicules en Iran en 2011[6] et Renault pour 100.000 en 2012[7] ;
- qu’il contribue à la destruction de l’emploi automobile en France, déjà très affecté par la baisse des ventes en Europe[8].
Cette nouvelle marque de servilité à
l’égard de Washington est intervenu quelques semaines seulement après
que la France eut refusé l’asile à Edward Snowden, fermé son espace
aérien sans raison au Président bolivien Evo Morales, et renoncé à toute
action contre les entreprises suspectées de surveiller la population
française pour le compte des services de renseignement américains.
En parallèle de cette servilité, les
signes de plus en plus préoccupants du basculement des États-Unis dans
un régime dictatorial se multiplient. Ils justifieraient qu’une
puissance comme la France dise « leur fait » aux Américains au lieu de
se confondre avec eux.
1.2 – Une agressivité croissante de la France à l’égard de l’Iran sur commande de Washington
Les responsables politiques de droite et
de gauche n’ont cessé, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, de
préparer les esprits à l’idée d’une guerre avec l’Iran, suivant la voie
tracée par le gouvernement américain. L’objectif a été de convaincre
l’opinion publique qu’il existe une « crise iranienne » aiguë, et que
tous les moyens pacifiques de la résoudre seraient épuisés.
- Nicolas Sarkozy s’était ainsi employé à
imiter la rhétorique belliciste bushienne à l’égard de l’Iran, peu
après son élection, lors de la conférence annuelle des ambassadeurs de
France le 27 août 2007 en déclarant :
« Tout doit être mis en œuvre pour
convaincre Téhéran de privilégier la coopération sur l’isolement et sur
la confrontation. Personne n’a de meilleure stratégie à proposer et, si
nous devions échouer, chacun connaît l’alternative catastrophique devant
laquelle le monde serait placé : la bombe iranienne ou le bombardement
de l’Iran ».
- Hubert Védrine donnait crédit aux propos de Nicolas Sarkozy dans un article du 28 septembre 2007 sur Télos[9] : « ce
qui est établi c’est la volonté de l’Iran de mener son programme
nucléaire au-delà de ce que lui autorise le Traité de non-prolifération
[…] Dans ce contexte, la phrase du président Sarkozy, le 27 août 2007
devant les ambassadeurs, est difficilement contestable : « échapper à
une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement
de l’Iran » ».
- Martial, Bernard Kouchner avait indiqué lors d’une interview télévisée le 16 septembre 2007 au sujet de l’Iran : « il faut se préparer au pire », « le pire, c’est la guerre » et « on se prépare en essayant d’abord de mettre des plans au point qui sont l’apanage des états-majors »[10].
- Nullement en reste, Michèle Alliot-Marie, sa remplaçante au Quai d’Orsay, affirmait le 12 décembre 2010 que « la France n’accepte pas que l’Iran déstabilise » le Moyen-Orient et le monde[11], et n’hésitait pas à menacer l’Iran d’une escalade de tensions : « si
les responsables iraniens ne lèvent pas le doute sur leurs intentions,
toutes les sanctions d’ordre économique devront être envisagées ».
- Alain Juppé, pour sa part, précisait le 7 mars 2012 à l’AFP[12] :
- « je suis un peu sceptique parce que
quand vous regardez la farce qu’ont constituée les élections en Iran, le
succès de ce qu’on appelle les conservateurs, on finit par considérer
(que le président Mahmoud) Ahmadinejad est un modéré ou un libéral » ;
- « je crois que l’Iran continue à
tenir un double langage, c’est la raison pour laquelle il faut que nous
restions extrêmement fermes sur les sanctions que nous avons prises, qui
sont de mon point de vue la meilleure manière d’éviter une option
militaire qui pourrait avoir des conséquences incalculables ».
Dans une tribune en date du 18 juin 2011[13],
il appelait, à nouveau, à durcir le ton envers l’Iran, au nom de la
démocratie et des droits de l’Homme cette fois-ci, ne consacrant qu’une
petite ligne à la question du nucléaire iranien. Il écrivait notamment :
- « N’oublions pas l’Iran, où les autorités iraniennes refusent à leur population le droit de manifester pacifiquement » ;
- « Depuis deux
ans, la situation des droits de l’homme ne cesse de s’y dégrader, comme
en témoigne la multiplication des informations qui nous parviennent sur
les arrestations à grande échelle, les mauvais traitements et les
tortures subis par les détenus, le caractère arbitraire des peines
prononcées et la multiplication des exécutions capitales qui s’élèvent
déjà à plus de trois cents depuis le début de l’année. » ;
- « Le déni des
aspirations de la population iranienne, et la poursuite d’un programme
nucléaire, sans objectif civil crédible et en violation de la légalité
internationale, conduisent à voir l’Iran mise au ban de la communauté
des nations. »
- Jean-Luc Mélenchon[14] légitimait, quant à lui, une frappe préventive contre l’Iran sur France inter le 12 février 2012 : « c’est
la première fois qu’on voit un pays dire : « si on a une bombe, on ira
taper sur Israël ». Personne ne peut accepter une chose pareille, que
sur le plan international, quelqu’un décide qu’il va détruire, et à coup
de bombes atomiques, son voisin […] Moi j’ai pas peur de le dire : un
régime théocratique est toujours un danger pour le reste de l’humanité »[15].
 |
Sur France Inter le 12 février 2012, Jean-Luc Mélenchon légitime
toutes les interventions militaires de Washington : contre la Lybie,
contre la Syrie et contre l’Iran… |
- Laurent Fabius lançait dans un entretien au Monde le 9 mai 2013 que le nucléaire iranien constituait « la plus grande menace actuelle contre la paix »[16].
- François Hollande affirmait le 2 juin 2013 qu’« empêcher l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire » relevait d’une « nécessité urgente, impérieuse » et que « c’est l’Europe qui se trouverait éventuellement visée par la détention de cette arme »[17], suggérant que l’Iran pourrait projeter de… bombarder la France avec une arme nucléaire !
2) La France n’a pas de raison objective d’adopter une position agressive vis-à-vis de l’Iran.
2.1 – Des arguments empreints d’« un deux poids deux mesures »
Qu’a donc fait l’Iran pour mériter la vindicte unanime des dirigeants français ?
Deux arguments sont utilisés par ces derniers :
- Le premier argument consiste à fustiger le régime politique iranien,
Le régime iranien
n’est sans doute pas attrayant, mais il n’est pas le seul, sur la
surface du globe, à restreindre les libertés individuelles et
l’expression démocratique, à exercer une surveillance sur sa population,
à brider la liberté religieuse ou à employer des méthodes de police
musclées. En effet :
- Le royaume d’Arabie saoudite est une monarchie absolue où règne l’arbitraire. Les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948 y sont constamment bafoués, notamment la liberté d’expression,
l’égalité entre les sexes et la liberté religieuse.Toute manifestation
ou culte d’une autre religion que l’Islam est interdit sous peine
d’apostasie, passible de la peine de mort, ce qui est loin d’être le cas
en Iran où, par exemple, vit une communauté juive depuis vingt-six
siècles. Le Deuxième livre des Rois situe, en effet, en 622 avant J.C. l’exil de la minorité juive de Babylone vers l’empire mède par le roi Assurbanipal.
- Le royaume de
Bahreïn, qui est une dictature familiale de même nature que l’Arabie
saoudite, a écrasé dans le sang un mouvement de contestation de grande
ampleur en 2011 et 2012. En février 2012, le roi Hamad ben Issa
Al Khalifa a répondu aux manifestants par la proclamation de la loi
martiale et une répression féroce. On estime que plus de 80 manifestants
sont morts, soit au cours de heurts avec la police, soit sous la torture après leur arrestation, et que le nombre d’arrestations a atteint les 3.000, nombres considérables pour un petit pays de 1,2 million d’habitants.[18]
Cette répression n’a pas suscité la moindre réaction de la prétendue «
communauté internationale » – comprendre : les États-Unis et leurs
vassaux européens.
Il est frappant de constater le « deux
poids deux mesures » avec lequel sont traitées, dans les médias et par
la classe dirigeante française, les situations politiques en Iran et
dans les deux pays cités ci-dessus. Il est vrai que ces derniers, à la
différence de l’Iran, sont totalement soumis aux intérêts américains, le
royaume du Bahreïn étant d’ailleurs le siège de la Ve Flotte américaine
dans le Golfe persique.
De plus, les pays occidentaux devraient
considérer leurs propres insuffisances avant de s’intéresser à celles
d’autrui. En effet :
- L’Union européenne
dirigée par une oligarchie qui méprise les peuples et des institutions
non élues et illégitimes rejetées par plusieurs référendums, bafoue les
principes élémentaires de la démocratie ;
- L’état de droit
connaît des régressions majeures aux États-Unis, comme en attestent les
mesures d’exception prises dans le cadre du Patriot Act, les
détentions extrajudiciaires à Guantanamo et dans les prisons secrètes de
la CIA, la torture en Irak et en Afghanistan, les exécutions sommaires
au travers des drones décidées par Barack Obama ou bien encore le
programme de surveillance planétaire PRISM.
En outre, plusieurs observateurs
étrangers sérieux estimaient que, malgré les violences meurtrières et
les manipulations électorales avérées, Mahmoud Ahmadinejad avait
probablement gagné l’élection présidentielle du 12 juin 2009 :
- Les deux observateurs du Washington Post situés en Iran, Ken Ballen et Patrick Doherty, estimaient dès le 15 juin 2009 que « le résultat des élections en Iran est peut-être le reflet de la volonté du peuple iranien » parce que le sondage qu’ils avaient réalisé eux-mêmes trois semaines avant les élections montrait que Mahmoud Ahmadinejad « menait par une marge de deux contre un, plus que celle sortie des urnes »[19]. Ils soulignaient en particulier le poids du vote favorable à Mahmoud Ahmadinejad à l’extérieur des grandes villes ;
- L’ancien agent de la CIA affecté au Moyen-Orient, Robert Baer, chroniqueur au Time, écrivait dans un article paru le 16 juin 2009[20] :« Depuis
de trop nombreuses années, les médias occidentaux regardent l’Iran par
le prisme étroit de la classe moyenne iranienne libérale, une
intelligentsia acquise à internet et à la musique américaine, qui parle
plus volontiers à la presse occidentale, suffisamment riche pour se
payer des tickets pour Paris ou Los Angeles » ;« Nous devons
considérer sérieusement la possibilité qu’il y ait eu un engouement pour
une ligne autoritaire, un mandat électoral pour Ahmadinejad et ses
politiques. »
Les médias français ont occulté la
popularité bien réelle de Mahmoud Ahmadinejad dans son pays à l’occasion
de cette élection, comme ils ont occulté celle de Vladimir Poutine lors
de l’élection présidentielle russe de mars 2012, préférant se
concentrer sur les violences. Il est vrai que la France ne sait plus ce
qu’est un dirigeant populaire, alors qu’elle connaît de mieux en mieux
les violences civiles.
- Le deuxième argument consiste à
affirmer que l’Iran souhaite non seulement se doter de l’arme atomique
mais compte en plus s’en servir.
Or l’Iran a indiqué à plusieurs reprises
depuis 2007 que son programme nucléaire était à visée exclusivement
civile. Mais encore :
- l’Agence
internationale pour l’énergie atomique (AIEA), qui conduit les
inspections sur les sites nucléaires iraniens, n’a pas trouvé de preuves
formelles que l’Iran construirait une bombe atomique, l’enrichissement
de matière radioactive, poursuivi par l’Iran, ne constituant pas une
preuve suffisante ;
- la communauté des renseignements américaine[21],
qui rassemble 17 agences de renseignement aux États-Unis et qui est
probablement mieux informée encore que l’AIEA, a affirmé à plusieurs
reprises, depuis le rapport National Intellignece Estimate de novembre 2007[22]
que l’Iran a stoppé un programme nucléaire à visée militaire en 2003 et
ne l’a pas réactivé depuis.Un article du 24 février 2012 du New York Times,
rappelait que plusieurs responsables américains avaient publiquement
repris ces constats, David Petraeus, alors directeur général de la CIA
et Leon Panetta, Secrétaire d’État à la Défense[23], lui même ancien directeur général de la CIA de 2009 à 2011. Ce dernier avait estimé lors d’une interview sur CBS[24] le 8 janvier 2012[25] que l’Iran « n’est pas en train de fabriquer la bombe atomique ».
James Clapper, directeur du renseignement américain, a présenté au Sénat
le 12 mars 2013 un rapport sur l’état des menaces mondiales dans lequel
il est écrit[26] :« Nous
estimons que l’Iran est en train de développer une capacité nucléaire
pour renforcer sa sécurité, son prestige et son influence régionale, et
se donner la possibilité de développer des armes nucléaires dans le cas
où une décision en ce sens serait prise. Nous ne savons pas si l’Iran
décidera finalement de construire des armes nucléaires. »« Nous estimons que l’Iran ne pourrait pas […] produire une bombe nucléaire avant que cette activité ne soit découverte. »
- François Nicoullaud, ambassadeur de France à Téhéran de 2001 à 2005, indiquait :
- à l’AFP et dans une tribune publiée par l’Internaltional Herald Tribune le 27 juillet 2013[27] qu’Hassan
Rohani, élu Président de la République islamique d’Iran le 14 juin
2013, démocratiquement selon toute vraisemblance et sans violence, est
la personne qui a arrêté le programme clandestin de fabrication d’une
arme nucléaire fin 2003, porté par les pasdarans, puissants « gardiens
de la Révolution » ;
- dans un billet du 19 juin 2013 sur son blogue[28] que Hassan Rohani a convaincu en 2003 le guide suprême Ali Khamenei d’interrompre le programme nucléaire militaire « parce
que l’ennemi principal de l’Iran, Saddam Hussein, était éliminé et que
l’on savait enfin qu’il n’y avait pas de programme irakien d’armes de
destruction massive » ;
- dans un article du 10 mai 2013[29] relayé par Le Figaro que « l’administration
américaine n’osera plus monter de toutes pièces un dossier comme celui
qui a conduit à l’invasion de l’Irak en 2003. Pour bien marquer la
différence avec cette époque, la communauté américaine du renseignement
rappelle chaque année depuis 2007, au grand chagrin des
néo-conservateurs désireux d’en découdre avec l’Iran, que la république
islamique a interrompu fin 2003 son programme nucléaire clandestin et
n’a pas, depuis, pris la décision de se doter de l’arme atomique ».
Rien ne permet donc d’affirmer que
l’Iran viole le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires
(TNP) qu’il a signé en 1968, ratifié en 1970[30], et auquel un protocole additionnel contraignant a été ajouté en 2003 concernant l’Iran, avec l’accord de celui-ci[31].
En d’autres termes, aucune base légale
du point de vue du droit international ne pourrait légitimer une
intervention militaire en Iran. Du reste, dans l’hypothèse du viol du
TNP par l’Iran, encore faudrait-il prouver le bien-fondé d’une action
militaire internationale et faire voter cette dernière au Conseil de
sécurité de l’ONU.
Pour leur part, Israël, qui ignore le
TNP, et la Corée du nord, qui s’en est retirée, possèdent très
vraisemblablement des armes nucléaires sans faire nullement l’objet des
menaces américaines qui visent l’Iran[32].
Il s’agit d’un nouveau « deux poids, deux mesures » qui,
inévitablement, jette le doute sur les intentions réelles des avocats
d’une intervention militaire en Iran.
2.2 – Une vision tronquée de la réalité
Toutes les informations qui précèdent sont importantes à plusieurs égards. Elles montrent que :
- le pays considéré comme principal ennemi par l’Iran est l’Irak,
avant Israël. La guerre Iran Irak, connue sous le nom de « Guerre
imposée » en Iran, entre 1980 et 1988 a été, en effet, d’une extrême
violence[33] avec :la
mort de trois cents mille à un million d’Iraniens ;l’emploi de gaz de
combat par les forces irakiennes contre la population et l’armée
iraniennes – ce qui n’a pas ému le moins du monde les Américains à
l’époque – ;le bombardement du site nucléaire iranien de Bushehr par
l’aviation irakienne[34]. Ce qui peut expliquer l’enfouissement systématique des sites nucléaires iraniens aujourd’hui.
- ce n’est pas une politique de sanctions décidées par l’« Occident »
qui a mis fin au programme nucléaire à visée militaire, connu, de l’Iran
mais la suppression d’une menace extérieure. Cela montre également que
les dirigeants iraniens agissent de façon rationnelle ;
- le nouveau Président iranien devrait, compte tenu de son parcours,
afficher une plus grande transparence que son prédécesseur sur le
programme nucléaire. C’est d’ailleurs ce que l’on observe depuis le mois
de septembre 2013. Ainsi que l’indique l’AIEA dans son dernier rapport
en date du 22 mai 2013[35],
des zones d’ombres demeurent sur les applications supposément civiles
de ce programme ainsi que sur certaines traces de visées potentiellement
militaires. En particulier :
- les autorités iraniennes refusent l’accès aux inspecteurs du site de Parchin où se trouverait, « selon des informations que l’Agence a reçues d’États membres », « une grande cuve de confinement d’explosifs pour y mener des expériences hydrodynamiques ». Le rapport précise que :« la
cuve de confinement a été installée sur le site de Parchin en 2000.
L’emplacement de la cuve sur le site de Parchin n’a été déterminé qu’en
mars 2011, et l’Agence en a informé l’Iran en janvier 2012 […] les
images satellitaires dont dispose l’Agence pour la période allant de
février 2005 à janvier 2012 ne révèlent quasiment aucune activité dans
le bâtiment abritant la cuve de confinement ».
- des indices existent que l’Iran a pu
conduire un programme nucléaire à visée militaire dont il n’est pas
possible de dire avec certitude qu’il est terminé. La cuve mentionnée
plus haut ainsi que ces indices ont pu servir dans le cadre du programme
militaire clandestin stoppé en 2003 par Hassan Rohani.
Cela étant, la
prudence iranienne peut provenir des risques de « fuites » au sein de
l’AIEA, qui est l’objet de l’attention de tous les services de
renseignement. Il est compréhensible qu’un pays divulgue difficilement à
une entité étrangère ses secrets stratégiques. Que feraient la France
ou les États-Unis s’ils étaient sommés de dévoiler leurs secrets
nucléaires à l’AIEA ?
- les États-Unis, leurs affiliés et leurs médias tiennent un discours
alarmiste et agressif vis-à-vis de l’Iran à leurs opinions publiques,
tout en sachant que rien ne permet d’affirmer que l’Iran est en train de
fabriquer une bombe atomique.
Depuis plusieurs
années, les médias français ont pris le pli de la rhétorique guerrière
contre l’Iran, présentant la situation comme critique, se faisant
régulièrement l’écho de l’imminence d’une action israélienne et de la
mise au point d’une bombe atomique par l’Iran ou suggérant que le régime
iranien est discrédité auprès de sa population, donc qu’une
intervention militaire aurait une vertu libératrice.
Une tempête médiatique s’était abattue sur Jacques Chirac lorsqu’il avait confié à des journalistes le 29 janvier 2007[36] que si l’Iran possédait l’arme atomique, ce ne serait « pas tellement dangereux » et que celle-ci « n’aura pas fait 200 mètres dans l’atmosphère que Téhéran sera rasée ».
Si l’on regarde les
choses avec objectivité, ces déclarations de Jacques Chirac étaient
peut-être discutables mais elles ne justifiaient pas l’atmosphère
hystérique qui se déversa alors dans les médias contre le chef de
l’État, lequel fut décrit comme ayant commis un inconcevable
« dérapage ». Atmosphère qui témoigne du verrouillage médiatique
draconien qui, déjà, frappait le dossier iranien.
Le comportement des
médias français contribue à la dégradation de l’image de la France dans
le monde musulman, qui est globalement mauvaise comme le montrait une
enquête publiée le 25 juillet 2013[37].
3) En s’en prenant à l’Iran sans raison démontrée, les États-Unis et
leurs affiliés, dont la France, menacent gravement la paix du monde.
3.1. – Un processus accusatoire analogue à celui employé contre l’Irak en 2003
Les arguments utilisés par les
dirigeants occidentaux pour légitimer une action contre l’Iran sont les
mêmes que ceux allégués par les États-Unis pour justifier leur agression
contre l’Irak en 2003, de même que le processus : les pays désignés à
l’avance comme coupables doivent faire la preuve de leur innocence,
puisque l’accusateur est incapable de prouver son accusation.
Exemple frappant de l’analogie entre les
situations irakienne et iranienne, le Premier ministre israélien a
présenté à la tribune de l’ONU le 27 septembre 2012 un dessin montrant
que l’Iran avait réalisé 90% du chemin devant l’amener à un armement
nucléaire[38],
rappelant l’épisode du 3 février 2003 au cours duquel Colin Powell,
Secrétaire d’État américain, avait brandi devant le Conseil de sécurité
une fiole censée prouver l’existence d’armes de destruction massive en
Irak.
Les États-Unis ont commencé à
« pousser » publiquement le thème d’une menace iranienne juste après les
attentats du 11 septembre 2001, mettant l’Iran sur le même plan que
l’Irak, et lui réservant probablement, alors, un même sort.
Lors du discours sur l’état de l’Union du 29 janvier 2002, George Walker Bush plaçait l’Iran sur « l’axe du mal »[39] des
pays développant des armes de destruction massive et abritant des
structures terroristes. Il allait même jusqu’à déclarer en juillet 2004
que l’Iran avait eu un rôle dans les attentats du 11 septembre 2001[40], accusation qui semble avoir été abandonnée par la suite.
La réalité est que les Iraniens, comme
les Afghans, les Libyens ou les Syriens, n’ont rien fait aux Français ni
aux Américains. Les invectives occidentales contre l’Iran obéissent à
une logique étrangère à toute légitime défense et se placent en dehors
du droit international.
Ce ne sont ni les caractéristiques
coercitives du régime politique iranien, ni son programme nucléaire qui
suscitent l’ire des États-Unis, mais l’attitude indépendante et
insoumise de l’Iran depuis la chute du Shah en 1979.
3.2. – Un projet de soumission du Moyen-Orient aux intérêts américains
Les États-Unis souhaitent neutraliser l’Iran pour trois raisons :
- Établir leur hégémonie politique au Moyen-Orient.
L’Iran est un pays
plus unifié sur les plans linguistique, religieux et historique que ses
voisins, même s’il présente des lignes de fracture nombreuses liées aux
minorités ethniques transfrontalières, Azéris, Kurdes, Baloutches,
Pashtounes, Tadjiks notamment. Cette force fait de l’Iran un bloc
politique puissant, capable d’une mobilisation totale démontrée par la
guerre avec l’Irak entre 1980 et 1988.
L’effondrement et
l’état de partition latente de l’Irak, consécutifs à l’intervention
américaine de 2003, ont permis à l’Iran d’affirmer son influence
régionale et son indépendance. La position de Washington dans l’actuel
conflit syrien vise à ébranler l’influence iranienne, qui s’étend
désormais de Beyrouth, à Bagdad en passant par Damas.
En outre, comme le
montre le rapport sur l’état des menaces mondiales, présenté au Sénat à
Washington le 12 mars 2013 par James Clapper, l’Iran est perçu comme une
puissance ayant les moyens de s’opposer à la présence américaine au
Moyen-Orient :
« L’Iran a déjà
le plus grand stock de missiles balistiques dans le Moyen-Orient et est
en train d’augmenter l’échelle, la portée et la sophistication de son
arsenal de missiles balistiques. Le stock croissant de missiles
balistiques de l’Iran et sa production domestique de missiles de
croisière contre les bateaux et le développement de son premier missile
de croisière à longue portée continental lui fournit des possibilités
d’améliorer sa projection de puissance. Téhéran considère ses missiles
conventionnels comme faisant partie intégrante de sa stratégie de
dissuasion – et de réplique si nécessaire – vis-à-vis de forces armées, y
compris des forces américaines. »
- S’accorder un accès exclusif aux ressources pétrolières et gazières.
Non seulement très
riche en hydrocarbures avec les deuxièmes réserves mondiales de pétrole
et de gaz, l’Iran contrôle en partie le détroit d’Ormuz par lequel
transitent les ressources des pays du Golfe persique. C’est pour
prévenir la convoitise de puissances étrangères que l’Iran s’est engagé
dans une politique d’indépendance nationale.
Dick Cheney, lorsqu’il dirigeait Halliburton Energy Services,
avant de devenir Vice-président des États-Unis sous George Walker Bush
entre 2001 et 2009, avait livré dans un propos lapidaire le 23 juin 1998
au Cato Institute la doctrine américaine concernant les hydrocarbures ainsi que son inspiration quasiment messianique[41] :
« Le Bon Dieu n’a
pas jugé bon de mettre du pétrole et du gaz seulement dans les pays
démocratiques amis des États-Unis. Nous devons parfois agir là où, à
tout prendre, on préfèrerait ne pas aller. Mais nous allons là où sont
les affaires. »
- Provoquer et contenir la Chine et la Russie.
Quatre trains de
sanctions à l’encontre de l’Iran ont été pris à l’unanimité du Conseil
de sécurité de l’ONU, donc avec l’aval de la Chine et de la Russie en
décembre 2006, mars 2007, mars 2008 et juin 2010[42].
Deux résolutions ultérieures les ont prolongés. Ces sanctions sont
cantonnées à la problématique nucléaire et interdisent par exemple, que
l’Iran puisse se fournir à l’étranger en équipements sensibles dans ce
domaine.
La Chine et la
Russie ont donc refusé de « durcir » les sanctions dans le sens des
mesures, très restrictives notamment dans les domaines bancaires et
pétroliers, prises ultérieurement et unilatéralement par les États-Unis
et leurs affiliés. Chine et Russie occupent désormais une place
prépondérante dans les échanges de l’Iran avec le reste du monde :
- La Chine est le premier acheteur de pétrole iranien et le premier partenaire commercial de l’Iran ;
- La Russie a conclu des contrats
significatifs dans le domaine de la défense avec l’Iran, même si
l’exécution de ceux-ci n’apparaît pas certaine[43] et doit construire une deuxième centrale nucléaire dans le pays, d’après une annonce en date du 11 août 2013[44].
Chine et Russie étaient en outre présentes à Téhéran :
- Le 9 août 2012, lors d’une conférence
internationale consultative sur la Syrie rassemblant des représentants
de 29 États cumulant 3.528.129.000 habitants soient 50,9% de la
population mondiale[45] ;
- Le 29 mai 2013, lors d’une autre conférence internationale sur la Syrie[46].
L’Iran est également membre observateur depuis 2005 de l’Organisation de coopération de Shanghai,
organisation intergouvernementale régionale asiatique dans laquelle
Chine et Russie jouent un rôle moteur, et dont les réalisations
concernent essentiellement la sécurité, par exemple des manœuvres
militaires communes. L’Iran a déposé une candidature pour devenir membre
à part entière le 24 mars 2008[47].
Neutraliser l’Iran
permettrait donc aux États-Unis de porter un coup d’arrêt à l’influence
grandissante de la Chine et de la Russie au Moyen-Orient. Les sanctions
américaines, qui contrarient Chine et Russie en particulier pour les
paiements bancaires, sont le prélude de cette confrontation et
permettent à Washington d’engager un bras de fer avec ces deux pays.
Les objectifs poursuivis par les
États-Unis dans le dossier iranien traduisent un rêve impérialiste et
délirant de domination du monde, d’une extrême dangerosité pour la paix.
4) La France, une fois de plus, s’acharne à détruire les liens singuliers qu’elle entretenait avec le reste du monde.
4.1. – Une relation ancienne avec l’Iran
La France entretenait traditionnellement
une relation singulière et privilégiée avec l’Iran, caractérisée par la
diffusion de la culture et de la langue françaises dans l’enseignement,
la recherche, la création artistique, l’élite intellectuelle et
politique[48].
La France est perçue depuis Saint Louis
par les Perses comme une puissance « alternative » pouvant faire
contrepoids aux empires désireux de les soumettre. Les premiers échanges
marchands et diplomatiques d’importance entre les deux pays apparurent
sous les règnes de Louis XIII puis de Louis XIV. Les relations
franco-persanes se développèrent particulièrement sous le Second
Empire : Napoléon III décida d’ouvrir une légation française à Téhéran
en 1854, puis des consulats à Rasht en 1864 et à Tabriz en 1866 .
Parallèlement, l’influence française en Perse se renforça par l’envoi de
médecins personnels des shahs de la dynastie Qadjar à la cour,
d’enseignants et de conseillers militaires.
Après la Première Guerre mondiale, la
France décida d’augmenter sa présence en Perse en y multipliant les
réalisations : augmentation du nombre de consulats, augmentation du
nombre d’enseignants français, notamment à la faculté de Droit de
l’Université de Téhéran, fondation d’un lycée français et d’une école
d’agriculture, création d’une première banque française à Téhéran, ajout
d’une section commerciale à la légation française, mise en place d’un
service international de TSF pour contrer les services britanniques et
allemands, publication d’un journal en langue française en Iran, dont la
langue était alors de plus en plus parlée à la Cour et comme langue
diplomatique dans tout le Proche-Orient.
Après la Deuxième Guerre mondiale, c’est
le général de Gaulle qui restaura le prestige de la France auprès du
shah d’Iran. Le dirigeant de la France libre s’était déjà arrêté à
Téhéran en novembre 1944, sur le chemin de Moscou, afin d’assurer au
nouveau monarque, Mohammad Reza Shah (que personne n’avait invité à la
conférence de Téhéran quelques mois auparavant) l’importance que la
France attachait à la continuité monarchique en Iran. Devenu président
de la République en 1958, Charles de Gaulle se rendit de nouveau en Iran
à partir du 16 octobre1963 pour s’y entretenir avec le Mohammed Reza
Shah, éduqué dans une école suisse de langue française, et dont la
troisième épouse, la jeune Farah Diba avait effectué ses études
supérieures en France.
 |
Le Journal de Téhéran, daté du mercredi 16 octobre 1963, annonce en
Une l’arrivée de Charles de Gaulle, président de la République
française, à Téhéran. Ce journal francophone n’existe plus de nos jours… |
Le dernier shah d’Iran sera d’ailleurs
le seul chef d’État que de Gaulle, après son départ du pouvoir en 1969,
accepta de recevoir à Colombey avant de mourir. Dans les années 60, la
France était très présente en Iran, notamment au point de vue culturel.
Le régime autocratique du shah et son
alignement de plus en plus manifeste sur Washington conduisirent Paris à
prendre peu à peu ses distances avec Téhéran (le président Pompidou
n’envoya que son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas aux célébrations
de Persépolis en 1971 pour le 2500e anniversaire de la
monarchie perse, ce qui fut jugé comme un affront). Cependant, la France
profita de la vive augmentation du pouvoir d’achat de l’Iran à la suite
du premier choc pétrolier survenu après la guerre du Kippour de 1973 :
Paris vendit à l’Iran sa technologie nucléaire, par un contrat signé en
1975 dans lequel Framatome se voyait confier la construction de cinq
centrales nucléaires tandis que l’Iran se voyait attribuer une
participation dans Eurodif SA, compagnie créée pour fournir de l’uranium
enrichi. La révocation du contrat par le gouvernement iranien de
transition de Bakhtiar en 1979 puis l’avènement de la république
islamique refroidirent les relations franco-iraniennes.
4.2.- Le recul spectaculaire de tous les intérêts tricolores en Iran
Ayant survécu à la révolution islamique
de 1979 et au soutien de la France à l’agression irakienne contre l’Iran
l’année d’après, la relation franco-iranienne s’est considérablement
réduite par la suite, du fait de l’alignement de Paris sur Washington
dans le dossier nucléaire et, plus largement, dans les affaires
régionales. La perspective politique « alternative » que l’Iran avait
sollicitée et trouvée pendant des siècles auprès de la France s’est
effacée.
Les retraits de Peugeot et de Renault
interviennent après une série de reculs spectaculaires des intérêts
français en Iran, sous pression américaine :
- Le pétrolier Total a annoncé son départ
d’Iran en septembre 2010, avec trois autres firmes européennes, sous la
contrainte américaine. C’est le Secrétaire d’État adjoint américain,
James Steinberg, qui avait lui-même annoncé ce retrait, dans ces termes[49] :« J’ai
le plaisir d’annoncer que nous avons reçu des engagements de quatre
entreprises énergétiques internationales qui vont mettre fin à leurs
investissements et se refuser à toute nouvelle activité dans le secteur
de l’énergie en Iran »Il est à noter que le capital de Total fin 2010 était possédé par des investisseurs institutionnels anglo-américains à 38%[50].
- L’essentiel des structures
d’apprentissage du français entretenues par la France en Iran ont été
fermées, comme l’indiquait François Nicoullaud dans un article du 19
mars 2013 publié par Le Monde : « nos échanges universitaires
et de recherche se sont taris, et nous avons fermé l’Institut français
de Téhéran, où des milliers d’Iraniens apprenaient notre langue ».
Toute coopération dans le nucléaire, le
spatial ou la défense, domaines d’excellence français, est empêchée. Les
« intérêts moraux » de la France, à savoir son message de liberté et de
respect égal pour toutes les nations du monde, sont par ailleurs
piétinés.
Dans un article du 17 juin 2013 intitulé « Ce que les sanctions contre l’Iran coûtent à la France », une journaliste du Monde indiquait[51] :
« Quatrième partenaire commercial de la République islamique dans les années 2000, la France a chuté en 15ème
position depuis la mise en place de sanctions européennes, onusiennes
et américaines contre un éventuel programme nucléaire iranien à usage
militaire. […] Entre 2005 et aujourd’hui, les exportations françaises en
Iran se sont effondrées, passant de 2 milliards d’euros à 800 millions
(-60%). »
4.3. – Éliminer la
concurrence en Iran de pays étrangers, et surtout de la France : le
véritable objectif des sanctions américaines
Les sanctions imposées par Washington,
et répercutées par l’Union européenne, sont un moyen de faire place
nette en Iran de la concurrence d’autres pays. Ces sanctions
apparaissent pourtant contestables au regard des règles de
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), dans la mesure où Washington
s’accorde, de fait, un pouvoir d’extraterritorialité en frappant les
intérêts d’entreprises étrangères qui commerceraient avec l’Iran.
Dans un article du 25 février 2013 publié par Al Jazeera[52], deux universitaires américains indiquent que :
« Les sanctions secondaires[53]
sont un château de cartes des points de vue légal et politique. Elles
violent très clairement les engagements américains pris dans le cadre de
l’Organisation Mondiale du Commerce, qui s’ils permettent à ses membres
de rompre toutes relations commerciales avec les États qu’ils
considèrent comme des menaces à leur sécurité nationale, n’autorisent en
aucun cas les sanctions prises à l’encontre de membres de pays tiers
qui auraient commercé légalement. Washington perdrait très certainement
si l’affaire venait à être portée devant la Commission de Règlement des
Différends de l’OMC. » ;
« L’an dernier, l’Union européenne,
qui pendant des années avait condamné la possibilité d’une application
extraterritoriale d’une loi commerciale nationale et avait même menacé
de porter l’affaire devant la Commission de Règlement des Différends si
Washington venait à sanctionner des entreprises européennes en raison de
leurs liens d’affaires avec l’Iran, s’est finalement rangée du côté des
États-Unis et a interdit par exemple l’achat de pétrole iranien et a
imposé des restrictions économiques à l’encontre de la République
islamique que l’on pourrait qualifier d’embargo. »
De fait, les sanctions américaines sont appliquées de façon très variable entre les pays :
- Plusieurs observateurs ont noté que Washington ne respecte pas ses propres sanctions lorsque ses intérêts sont en jeu. Dans l’article du 17 juin 2013 du Monde :
- Sébastien Regnault chercheur au CNRS relève que les Américains « vendent beaucoup de produits, comme des ordinateurs Apple, des iPhones et du Coca-Cola, mais c’est difficile à chiffrer puisque ça se fait sous le manteau » ;
- Ali Ahani, ambassadeur d’Iran en France note que « les
exportations américaines ont augmenté de 50% ces deux dernières années
et les européennes ont baissé de moitié depuis leur embargo sur notre pétrole ».
De fortes suspicions
existent également que les forces armées américaines stationnées en
Afghanistan aient acheté du pétrole iranien[54].
De plus, un article
du Figaro du 4 octobre 2013 indiquait que General Motors noue des
contacts depuis six mois avec Iran Khodro, ancien partenaire de PSA,
afin d’expédier ses productions vers l’Iran[55].
De nombreuses autres entreprises américaines, japonaises, allemandes et
britanniques ont entrepris de s’implanter sur le marché iranien.
 |
Le Figaro, daté du 4 octobre 2013, révèle que les entreprises
américaines font des affaires juteuses en Iran, pendant que les
entreprises françaises se sont sabordées à la demande de Washington et
du gouvernement français qui sombre une fois de plus dans l’indignité et
la haute trahison de nos intérêts nationaux. |
- De nombreuses entreprises israéliennes poursuivent discrètement leurs affaires avec l’Iran, comme le rappelait un article du Point en date du 10 février 2012[56]. Il était notamment précisé que :« Deux
cents compagnies internationales opérant en Israël entretiendraient de
vastes liens commerciaux avec l’Iran, y compris avec son industrie
énergétique, qui représente la principale source de revenus de la
République islamique et sert à financer le développement de son
programme nucléaire et de son armement. »
 |
Le Point, daté du 10 février 2012, révèle que les relations secrètes
entre Israël et l’Iran totaliseraient des dizaines de millions de
dollars. | |
- Les États-Unis ont trouvé une voie
d’entente avec plusieurs pays décidés à ne pas subir les sanctions
américaines et à se faire respecter de Washington. Le Secrétaire
d’État américain annonçait le 5 juin 2013 que l’Inde, la Chine, la
Malaisie, la Corée du Sud, Singapour, l’Afrique du Sud, le Sri Lanka, la
Turquie et Taïwan bénéficieraient d’une dérogation concernant l’embargo
pétrolier contre l’Iran[57].
En somme, l’Union européenne et le gouvernement français appliquent avec célérité les sanctions américaines, qui sont pourtant :
- contournées par une série de pays, dont les États-Unis eux-mêmes et Israël ;
- inefficaces parce que contournables ;
- dépourvues de toute légitimité internationale ;
- probablement contraires aux règles de l’OMC ;
- dévastatrices pour les intérêts de la France.
C’est dire la mentalité de
« colonisé » qui s’est emparée de l’élite dirigeante française, qui
n’hésite plus, désormais, à se rendre coupable de haute trahison contre
les intérêts de son propres pays, au vu et au su de tous. Le recul
considérable des intérêts français en Iran prouve que la France est la
cible privilégiée du régime de sanctions américain.
4.4 – La France dissoute dans l’Union européenne et l’OTAN
La France n’existe plus vraiment en tant
que telle dans le dossier iranien. En effet Nicolas Sarkozy s’est
employé à la faire disparaître dans un processus de négociation piloté
par la Britannique Catherine Ashton, « haute représentante de l’Union
européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ».
Cette décision :
- empêche la France de porter le message de son choix. Qu’ont pu
penser les Iraniens d’une initiative comme celle de Michel Rocard en mai
2012, demandée ou non par François Hollande, puisque la France est, par
ailleurs, réduite au silence ?
- pousse les Iraniens à confondre la
France avec la Grande Bretagne, puissance honnie qui leur a imposé un
régime quasiment colonial de la fin du XIXème siècle à la
nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company (devenue BP pas la
suite) en mars 1951. Signe de la détérioration de la relation
irano-britannique, l’ambassade de Grande Bretagne en Iran est fermée
depuis novembre 2011[58].
Catherine Ashton, qui représente le groupe des « 5+1 » (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie, Chine et Allemagne)[59]
dans les négociations avec l’Iran, n’a obtenu aucun résultat malgré
plusieurs rencontres avec la partie iranienne. Il est vrai qu’elle n’a
aucune chance d’aboutir en raison de sa propre incompétence – de
notoriété publique – et des intérêts parfaitement contradictoires des
pays qu’elle est censée représenter. Dès lors, que fait la France dans
un tel processus ?
Neutralisée sur le plan diplomatique, la
France se retrouve entraînée, en raison de son appartenance à l’OTAN,
dans la stratégie de tension militaire voulue par Washington.
L’installation de batteries de missiles antimissile Patriot fin
2012 par l’OTAN en Turquie, près de la frontière syrienne, a suscité de
vives réactions de la part des autorités iraniennes qui y voient un
canon pointé vers elles[60].
Ce déploiement n’est pas sans rappeler
celui des missiles Jupiter en novembre 1961, en Turquie, par les
Américains, retirés en avril 1963 après la crise de Cuba qui avait
failli déclencher un conflit mondial.
De plus, la France, vassalisée au sein
de l’Union européenne et de l’OTAN, est empêchée d’exercer une influence
auprès des foyers chiites de la région, liés à l’Iran, par exemple au
Liban, en Syrie ou en Irak.
La décision, inutile en elle-même, prise
par l’Union européenne – donc aussi par la France – le 22 juillet 2013
de placer l’aile militaire du Hezbollah sur la liste des organisations
terroristes ne peut que tendre un peu plus la situation au Liban et en
Syrie. Cette décision conforte l’anathème général jeté par les
Euro-américains sur les chiites.
La France qui entretenait des
relations distinctes et originales avec tout le Moyen-Orient, du fait de
sa politique indépendante, de la francophonie et de son appui à
l’établissement de la liberté religieuse, est ainsi purement gommée de
la scène.
4.5. -Le partenaire occidental introuvable
L’attitude française est d’autant plus
tragique que l’Iran aurait besoin d’une ouverture vers l’« Occident »,
autrement dit qu’il y a une « place à prendre ».
La France pourrait remplir à nouveau,
vis-à-vis de l’Iran, le rôle qu’elle a historiquement tenu plusieurs
fois, et cela pour trois raisons :
- L’Iran doit faire face à un double encerclement géopolitique.
- La plupart de ses
voisins directs font partie de l’orbite américaine, Pakistan,
Afghanistan, Irak, Turquie, mais également les pays de la rive sud du
Golfe persique, Émirats arabes unis, Oman, Bahreïn, Qatar, Arabie
saoudite, Koweït.Le Pakistan beaucoup plus peuplé que son voisin persan,
avec 183 millions d’habitants contre 77 millions, possède l’arme
atomique, tout comme Israël situé à mille cinq cents kilomètres de
Téhéran. De plus, les États-Unis entretiennent une présence militaire
permanente à l’abord direct de l’Iran, via leur cinquième flotte basée
au Bahreïn ;
- Les voisins de
l’Iran sont globalement tous à majorité sunnite, alors que l’Iran est le
grand pays chiite. La tension entre les deux branches principales de
l’Islam est, aujourd’hui, à son extrême, par exemple en Irak, au Liban
et en Syrie où les affrontements meurtriers entre les deux communautés
sont quotidiens.
L’Iran aurait besoin d’un partenaire
occidental à même de comprendre ces menaces sur sa propre intégrité et
sa sécurité, et de jouer les intermédiaires pour en atténuer les
tensions.
- La relation, qui tend à une exclusivité forcée, avec la Chine et la Russie n’est pas satisfaisante pour l’Iran.
L’Iran court le
risque d’un enfermement dans une relation exclusive avec la Chine et la
Russie, qui pourraient être tentées d’exercer une forme de prédation sur
elle, notamment sur ses ressources naturelles.
De plus, les relations entre la Russie et l’Iran sont marquées par[61] :
- la perte des territoires perses du
Caucase au profit de la Russie impériale au cours du XIXème siècle, avec
les traités de Golestan (1813)[62], de Turkmanchai (1828)[63] et d’Akhal (1881)[64] ;
- la tutelle coloniale exercée par la
Russie sur l’Iran à la suite de la convention anglo-russe de 1907 qui
partagea l’Iran en deux zones d’influence étrangères ;
- l’occupation soviétique de l’Iran pendant la Seconde Guerre mondiale ;
- le soutien de Moscou à l’Irak lors de la guerre Iran Irak ;
- une compétition dans le domaine
énergétique, – Russie et Iran possédant respectivement les première et
deuxième réserves mondiales de gaz naturel -, et dans le contrôle de la
mer Caspienne.
Historiquement, la Russie s’est donc révélée être, pour l’Iran, davantage une menace qu’un allié.
- Le nouveau Président iranien fait preuve d’une attitude plus ouverte envers l’« Occident » que son prédécesseur.
Le nouveau Président
iranien, Hassan Rohani, francophone, réputé avoir donné un coup d’arrêt
au programme nucléaire militaire de l’Iran en 2003, et désireux –
d’après ses déclarations – d’apaiser les tensions avec le « camp
occidental », devrait être un interlocuteur privilégié pour la France.
Cette dernière, cependant, a entrepris de ne rien faire de ces circonstances favorables :
- En décidant, comme
annoncé le 25 juillet 2013, de ne pas envoyer l’ambassadeur de France
assister à la cérémonie d’investiture d’Hassan Rohani mais un diplomate
de rang inférieur[65] ;
- En refusant par
principe la présence de l’Iran à la conférence en préparation sur la
Syrie dite « Genève-2 », peu avant l’élection d’Hassan Rohani et même
après[66].
Cependant, un
retournement spectaculaire de la diplomatie française n’est pas à
exclure, à l’instar de celui qu’elle a déjà opéré en acceptant le
principe d’un « Genève-2 » porté par les Américains et les Russes, alors
qu’elle demandait le départ préalable de Bachar el-Assad. Ce camouflet
avait déjà gravement entamé la crédibilité de la France[67].
Il faut noter que l’ONU[68] et la Russie[69]
sont favorables à la présence de l’Iran à la conférence « Genève-2 ».
Le vice-ministre iranien des Affaires étrangères a indiqué, de plus,
avoir reçu une invitation « verbale » à cette conférence[70].
Les médias sont
soupçonnés d’avoir voulu discréditer le plus rapidement possible le
nouveau Président iranien en rapportant ses propos sur Israël[71]
de façon déformée, dans le but de le rapprocher de son prédécesseur,
habitué des escalades verbales et des outrances inacceptables vis-à-vis
de l’État hébreu.
Conclusion : la France dindon de la farce euro-atlantiste, disparaît de la scène mondiale
Le dossier iranien témoigne de façon
tragique et révoltante de l’impéritie scandaleuse et des œillères
idéologiques insensées des gouvernements français depuis au moins
l’accession de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. En se
vautrant dans la soumission à Washington, ils font de la France le
dindon de la farce euro-atlantiste et provoquent l’évanouissement
accéléré de la France des affaires du monde. L’Union européenne et
l’OTAN, qui dépossèdent la France de sa liberté d’action et la
soumettent à Washington, ont ruiné les positions que Paris avait
construites depuis des siècles en Iran, ses intérêts économiques ainsi
que son rayonnement culturel et linguistique.
De la même façon, le régime de sanctions
unilatérales décidé par les États-Unis a pour objectif réel de faire
disparaître d’Iran, et par extension du Moyen-Orient, des pays
concurrents, et d’abord la France. Les mots employés dans le débat
public sont volontairement trompeurs : « construction européenne » et « sanctions américaines » sont des expressions leurres destinées à masquer l’amère réalité, la destruction de la France.
Le jeu d’alliances de plus en plus
automatiques que constitue l’OTAN emmène la France vers une guerre sans
aucun fondement rationnel avec l’Iran. Dans un pareil contexte, qui
n’est pas sans rappeler les engrenages néfastes qui conduisirent à la
Première Guerre mondiale, la sortie de la France de l’Union européenne
et de l’OTAN s’impose comme une absolue nécessité.
En démontant les causes réelles de la
vindicte dont l’Iran fait l’objet de la part de l’oligarchie
euro-atlantiste et de la classe politique et médiatique, l’UPR est,
comme à l’accoutumée, le seul mouvement politique français à présenter
aux Français, de façon circonstanciée, les causes réelles du déclin de
la France.
François ASSELINEAU
François-Xavier GRISON, Responsable national de l’UPR, en charge des solidarités francophones
[8]
La baisse des ventes des constructeurs français en Europe est largement
due aux politiques d’austérité conduites par les institutions
européennes, aux règles de libre-échange inégales avec des pays à
faibles coûts de production, imposées par les traités européens, et au
taux de change de l’euro vis-à-vis du dollar américain, trop élevé.
[53] Sanctions punitives visant des importateurs ou exportateurs en affaire avec l’Iran