
La direction du CDU et les adhérents du SPD doivent, avant toute
signature définitive de l’accord, l’approuver par un vote. L’issue du
vote des membres du SPD reste incertaine vu que nombreux fonctionnaires
de rang moyen ou inférieur du parti craignent qu’une implication dans
une grande coalition puisse signifier une perte de voix aux élections
ultérieures.
Ceux qui ont négocié la coalition ont cherché à masquer en quelque
sorte les grands axes de l’accord. Les belles phrases et les termes
tarabiscotés sont une tentative de présenter les guerres, les attaques
sociales et la surveillance de l’Etat comme de la stabilité, de la
croissance et de la sécurité.
Cela a été soutenu par de nombreux médias qui ont décrit l’accord comme étant un « virage à gauche » (Die Zeit) ou ont prêté à la coalition un « grand cœur » (Frankfurter Allgemeine Zeitung).
Le président du SPD, Sigmar Gabriel, a même affirmé que l’accord de
coalition avait été rédigé « pour les petites gens qui travaillent dur. »
Le contraire est le cas. Lors de la conférence de presse des
dirigeants des partis, la chancelière Angela Merkel avait déclaré qu’il
n’y aurait pas d’augmentation des impôts pour les riches ou les grandes
entreprises. De plus, l’accord de coalition exclut toute contraction de
nouvelles dettes après 2015 et s’engage à un « strict » respect du
plafond de la dette et du pacte fiscal européen. D’ici la fin de la
prochaine législature, le gouvernement veut faire baisser le niveau de
la dette publique de 81 à moins de 70 pour cent du PIB.
Le SPD et le CDU/CSU ont clairement fait savoir qu’ils voulaient
poursuivre et intensifier les brutales mesures d’austérité non seulement
en Allemagne mais à travers toute l’Europe. Tous les pays de la zone
euro doivent s’assurer d’une « compétitivité au moyen de réformes
structurelles, » d’« une consolidation fiscale durable » ou d’« une
stabilité financière », répète-t-on sans cesse dans l’accord.
Pour ce faire, « une coordination meilleure et plus contraignante de
leur politique économique » est nécessaire pour s’assurer que « les pays
de la zone euro conviennent de réformes contractuelles contraignantes
et imposables au niveau européen. » Le « contrôle de la planification
budgétaire nationale par le Commission de l’UE » devant être élargie de
façon à en faire un « instrument efficace. »
Une responsabilité commune pour les dettes, qui faciliterait aux pays
malades d’obtenir des prêts des marchés financiers, est cependant
exclue de manière expresse et réitérée. Dans le passé, le SPD avait
réclamé ce genre de mesures. Maintenant, il est dit qu’une «
mutualisation des dettes » serait incompatible avec une « prise de
responsabilité »
Au lieu de cela, la grande coalition ne veut accorder des prêts
d’urgence aux pays endettés que s’ils s’engagent à pratiquer des
attaques sociales d’envergure historique. Les prêts d’urgence ne sont
possibles « qu’en échange d’un respect de conditions strictes ou de
l’application des réformes et de mesures de consolidation budgétaire, »
stipule l’accord.
Dans le même temps, le CDU/CSU et le SPD veulent élargir l’UE en tant
qu’alliance militaire sous la direction de l’Allemagne. L’UE requiert «
plus que jamais, une discussion stratégique » sur ce qu’elle veut
atteindre par des moyens civils et militaires. Elle pourrait jouer un
rôle dans des « pays tiers » pour établir et influencer le système
judiciaire et la police.
De plus, le nouveau gouvernement fédéral souhaite renforcer
l’importance de l’Allemagne au sein de l’OTAN. La « coopération de
défense » doit être étendue et l’Allemagne doit participer à
l’acquisition et au maintien de systèmes d’armement. L’accord de
coalition soutient tout particulièrement l’établissement d’un système
commun de défense antimissile de l’OTAN.
L’accord appelle au « renforcement d’une coopération
inter-institutions » pour soutenir une « politique étrangère et
sécuritaire efficace, pour le succès de laquelle des instruments civils
et militaires doivent se compléter mutuellement. »
Le document stipule que l’Allemagne doit « contribuer à façonner
l’ordre mondial » et doit être guidée par les « intérêts de notre pays. »
Un chapitre entier de l’accord est consacré à « la sécurité de
l’approvisionnement en matières premières… Une action spécifique est
nécessaire pour éviter un éventuel impact négatif sur la valeur ajoutée
en Allemagne. »
De tels intérêts de grande puissance n’avaient jamais été formulés aussi clairement auparavant dans aucun accord de coalition.
Cette résurgence du militarisme allemand et les attaques sociales
généralisées prévues par la coalition ne peuvent être imposées face à
l’opposition de la population par des moyens démocratiques. Et donc, le
CDU/CSU et le SPD projettent une massive extension de l’appareil d’Etat
et des restrictions supplémentaires des droits démocratiques.
L’Office fédéral de protection de la constitution (Verfassungsschutz,
VS – comme sont appelés les services secrets allemands) doit assumer
une « fonction de service central » par rapport aux instances de l’Etat.
Sa « capacité en matière d’analyse technique » doit être améliorée. De
plus, la capacité de la police fédérale doit être modernisée en la
dotant de nouveaux pouvoirs en matière de « surveillance des
télécommunications. » L’Office fédéral de la sécurité des technologies
de l’information (Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik,
BSI) qui opère déjà en tant qu’agence officieuse de renseignement, doit
être élargi, tout comme le centre de cyberdéfense (Cyber-Abwehrzentrum).
Le SPD et le CDU sont également d’accord pour la réintroduction de
l’obligation pour les fournisseurs de services Internet (FSI) de
conserver les données ; obligation qui avait été annulée par la Cour
suprême en 2010. Les FSI seront tenus de retenir les données de
connexion de tous leurs clients, qu’il y ait un soupçon fondé ou non à
leur encontre, de stocker ces données pendant trois mois et, au besoin,
de les transmettre aux divers organismes d’Etat. Cette loi « sera une
des premières que nous ferons voter », a dit Merkel lors de la
conférence de presse.
La grande coalition projette aussi de restreindre les droits des
associations non enregistrées. Il sera plus facile d’interdire des clubs
et des organisations semblables, et les interdictions auront une
incidence plus grande.
Les partenaires de la coalition ont cherché à dissimuler leur
programme réactionnaire derrière quelques feuilles de vigne sociales. Le
CDU par exemple, a proposé d’introduire une « retraite pour les mères. »
Celle-ci se limiterait à une petite augmentation de 26 euros par enfant
pour les parents qui ont élevé des enfants nés avant 1992. Ceci
signifie que ceux qui sont concernés reçoivent tout de même 26 euros de
moins que les mères et pères nés plus tard. En outre, cette mesure
dépendra de la disponibilité des fonds.
Le salaire minimum légal réclamé par le SPD a dès le départ été
tellement faible qu’il n’aura que peu d’impact pour la plupart des gens,
par contre il fera économiser beaucoup d’argent aux régimes d’assurance
sociale. Les employeurs seront autorisés jusqu’en 2017 à verser moins
que le salaire minimum de 8,50 euros l’heure en concluant à cet effet
des conventions collectives avec les syndicats. Par la suite, seuls les
soi-disant petits boulots (« mini jobs ») pourront être payés à un taux
inférieur. Le salaire minimum servira à tirer vers le bas le niveau
général des salaires.
Les syndicats et les partis d’opposition se sont en grande partie
rangés derrière l’accord de coalition. Lors de la conférence de presse
Gabriel, le dirigeant du SPD, a souligné que l’ensemble du contrat avait
été convenu avec les syndicats.
Les Verts ont fustigé l’accord de coalition par la droite en parlant
de dépenses excessives liées à la retraite pour les mères. « Dans le but
de protéger les soi-disant projets prioritaires, une discussion sur une
dette additionnelle ou une taxe est préprogrammée, » a dit Anton
Hofreiter, le chef du groupe parlementaire du parti des Verts.
La présidente du parti La Gauche, [Die Linke – l’homologue du Parti
de Gauche de Jean-Luc Mélenchon] Katja Kipping, a minimisé le caractère
brutal de la grande coalition en disant qu’elle représentait un «
bouchon » pour ce qui était de « la justice sociale et des réformes. »
Le vice-président du groupe parlementaire de Die Linke, Dietmar
Bartsch, a précisé : « J’avais souhaité que la grande coalition traite
tous les grands problèmes. Il ne s’agit là que de gestion et non pas
d’une action en vue de l’avenir. »
Au cours de ces dernières semaines, Die Linke n’a eu de cesse de
proposer la formation d’un gouvernement de coalition avec le SPD et les
Verts.
Christoph Dreier
Article original, WSWS, paru le 28 novembre 2013
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