"La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l'exactitude de l'information. Si le citoyen n'est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire." Jean-François Revel - Extrait d'un Entretien avec Pierre Assouline - Novembre 1988

mardi 14 août 2012

Une voix lucide dans le désert droitier

Ancien préfet, de sensibilité « gaulliste-souverainiste » et un temps adhérent au RPF de Pasqua, Roland Hureaux est un habitué des pages « Opinion » de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, news magazine à mi-chemin de l’UMP et du FN, de clientèle bourgeoise et à fort tropisme sionisme-atlantisme. L’ancien membre des cabinets de Philippe Séguin et Édouard Balladur vient de signer une tribune publiée dans le numéro (estival)  du 9 au 22 août, et intitulée « Et si l’on pensait aux chrétiens de Syrie ? » .


Mais Roland Hureaux, c’est l’intérêt de son article, n’y parle pas que des seuls chrétiens syriens. Au contraire, il brosse un tableau général de la crise syrienne, et de la désinformation et des aberrations diplomatiques qu’elle suscite en France.
La « prétendue rébellion »
L’ancien préfet commence par relever qu’après « des semaines d’emballement manichéens » (des semaines seulement ?) des voix s’élèvent enfin pour exprimer un « doute quant à l’intérêt de l’engagement de la France aux côtés des rebelles syriens ».
Certes, il y a une dictature de la famille Assad, qui s’est cependant, note-t-il, « plutôt libéralisée ces derniers temps« . Mais, rappelle Hureaux, il y en a d’autres « et des pires, à commencer par l’Arabie séoudite et le Qatar« , nos « alliés » (les guillemets sont de l’auteur) dans le conflit syrien.
R. H. dit que les atrocités constatées dan le pays sont surtout le fait d’éléments étrangers, se réclamant du salafisme ou d’al-Qaïda, venus renforcer la « prétendue rébellion« . Et Hureaux pointe la méthode de insurgés qui consiste à « pénétrer dans les quartiers centraux pour y prendre en otage la population ».
Hureaux rappelle ensuite le rôle historique de la France dans la région, et le mandat confié sur la Syrie par la SDN. Entre autres, la France était censée protéger les minorités chrétiennes. Or, aujourd’hui, écrit-il, la diplomatie des Juppé et Fabius s’« évertue à détruire le seul régime arabe qui les protège encore« . Hureaux rappelle à ce sujet le sort funeste des chrétiens d’Irak.
De l’Irak, le contributeur de Valeurs Actuelles passe aux États-Unis et à Israël dont il critique – c’est rare dans les pages de ce journal – la politique à courte vue, dictée par la haine de l’Iran : »Faut-il mettre tout u pays à feu et à sang pour cela ? » demande Hureaux, par-dessus les lecteurs de V.A., aux dirigeants de ces deux puissances. Autre question de (faux) Candide, l’ »intérêt d’Israël est-il de voir la Syrie aux mais des islamistes ? » Là on peut penser que Hureaux n’a peut-être pas pris toute la mesure du cynisme et des risques calculés pris par la direction israélienne.
Parmi ces risques, assure Roland Hureaux, il y a celui d’un « conflit majeur avec la Russie« . Il fustige la « naïveté » des Occidentaux qui espèrent à chaque fois « contourner le véto » russe au Conseil de sécurité. Alors que, comme il le rappelle, « le Kremlin adresse depuis quelques semaines des signaux clairs qui montrent qu’avec l’appui de la Chine – et aussi de autres BRIC -, il ne lâchera pas le régime Assad : envois d’armes et de conseillers militaires, gesticulations maritimes, dernières déclarations de Poutine lui-même« . Et Hureaux de rappeler l’ »humiliation » ressentie par les Russes, mais aussi les Chinois, lors de l’opération otanesque contre la Libye. Ils ne baisseront pas la garde sur la Syrie.
Une diplomatie sous le signe de l’hystérie
Et sur l’attitude générale des Occidentaux, singulièrement des Américains, dans cette affaire, Hureaux a cette analyse de type psychologique, sinon psychiatrique : « L’acharnement mis par Washington à vouloir à tout prix renverser le régime Assad ne semble plus relever d’une rationalité ordinaire mais de l’hybris d’une grande puissance irascible qui ne supporte pas qu’on lui résiste ». Et dans ce cas, Hillary Clinton nous semble une digne représentante des États-Unis !
Mais comment expliquer l’attitude de la France ? Eh bien , pour Hureaux, elle est « parfaitement incompréhensible« . Et de pointer « le manichéisme hystérique, illustré par les récentes déclarations de Juppé, traitant l’attitude des Russes de »criminelle »« .
Et voici l’implacable conclusion de Roland Hureaux :
« En poursuivant avec tant d’insistance leur offensive en Syrie par mercenaires interposés, par des sanctions et par une campagne médiatique sans précédent en temps de paix, les Américains et les Français se sont mis eux-mêmes devant le risque de n’avoir bientôt plus à choisir qu’entre une reculade humiliante et un conflit frontal avec la Russie, dont les conséquences seraient incalculables« .
En effet. Vox clamantis in deserto ? Les arguments de Hureaux ne toucheront ni Hollande ni Fabius. Ni les dirigeants lobotomisés de l’UMP. Mais Valeurs Actuelles est assez lu dans les milieux de la droite bourgeoise – où il a presqu’autant de crédibilité que le Figaro -, cette droite bourgeoise où se recrute le gros – enfin la moitié avec la gauche – des suiveurs de l’atlantisme : on peut espérer que Hureaux ait semé quelques graines de raison et de neutralisme dans ces cerveaux paresseux et formatés.
Convaincra-t-il aussi le service « Étranger » de V.A. trusté par un Frédéric Pons de plus en plus coincé entre son atlantisme foncier et sa conscience minimum des conséquences dramatiques – pour les chrétiens et pas mal d’autres – d’une éventuelle chute de Bachar al-Asaad ? Au fait, dans le même numéro de Valeurs, un article est consacré à la situation tendue au Liban – tension mise exclusivement au compte du Hezbollah et des pro-syriens  ; il est illustré d’une photo censée justement représenter des partisans libanais de Bachar. Sauf que ceux-ci brandissent trois grands drapeaux de l’opposition ! On va être gentil et dire que les correcteurs de cet hebdo de gens sérieux étaient surmenés au moment du bouclage..

Finalement, il y a encore au moins un gaulliste dans la salle….
Par Louis Denghien, 



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