L’homme qui avoue avoir de l’eau de son fleuve Garonne à la place du
sang évoquera le futur et ses évolutions au travers de son livre «Petit
Poucette», vendu à près de 200 000 exemplaires. Avec passion et un
talent incomparable pour trouver le mot juste, il s’adresse à la jeune
génération. À 83 ans, Michel Serres enseigne encore à l’université
américaine de Stanford, a participé aux travaux menés par Anne
Lauvergeon pour dessiner ce que pourrait être la France en 2030, est
consulté pour le projet de la nouvelle université de Toulouse le Mirail
et prépare le tome 2 de Petite Poucette.
Dans Petite Poucette vous expliquez comment l’accès a la connaissance a été révolutionné.
Oui c’est ça, il a été transformé trois fois, une fois par le passage
de l’écriture au premier millénaire avant Jésus Christ, puis
l’importance de l’imprimerie à la Renaissance et maintenant, le
numérique. C’est trois fois un accès complètement différent à
l’information.
Twitter, Facebook sont de plus en plus utilisés et en même temps les
chiffres sur la solitude explosent… Il n’y a pas une contradiction ?
Non ça n’a rien à voir. D’un côté il y a l’accès à la connaissance,
l’accès à l’information qui change complètement les relations humaines,
et la question de la solitude d’autre part n’est pas complètement liée
au numérique. Si vous regardez la façon dont étaient construits les
wagons de chemin de fer en 1930, les banquettes étaient toutes face à
face, maintenant elles sont tous dos à dos. La solitude était déjà
définie dans les fauteuils de trains et d’avions.
On est submergé par des flots d’infos, quels conseils vous donneriez pour surnager, pour faire le tri ?
Le problème d’être submergé par le flot d’informations n’est pas une
nouveauté. Nous avons des textes de philosophes du 16 et du 17e siècle
qui le disaient dès le moment où l’imprimerie est arrivée. On a été
submergé par le flot des livres. Et ni vous ni moi n’avons jamais lu en
entier la Bibliothèque nationale ni même la bibliothèque de la fac de
Toulouse ! Le flot d’information était déjà là, c’est pas un problème si
nouveau qu’on croit.
Vous parlez de nouvelle humanité dans Petite Poucette, c’est vraiment une révolution qu’on vit aujourd’hui ?
Oui il y a un changement. Imaginez une question qu’on m’a posée pour
Toulouse, puisqu’on reconstruit en ce moment l’Université du Mirail
(j’ai été consulté par les architectes) : quelle université de demain ?
Est-ce que vous pouvez l’imaginer étant donné les cours en ligne,
l’accès aux informations… et donc là, nous vivons une bascule de culture
d’importance majeure dont nous voyons très bien, et lucidement, comment
elle se passe mais dont nous pouvons difficilement prévoir les
conséquences demain matin. Tout va se transformer, votre métier comme le
mien, par exemple. Un média comme un journal, c’est peu d’émetteurs et
beaucoup de récepteurs, dans la toile c’est autant d’émetteurs que de
récepteurs. Rien que cette comparaison fait un changement dont nous ne
pouvons pas vraiment prévoir les issues.
Récemment vous avez poussé un coup de gueule sur l’invasion de l’anglais, On a des moyens de résister ?
C’est-à-dire que ça dépend de vous, ça dépend de nous. Ce que je
voudrais moi, c’est inviter les Français à faire la grève, chaque fois
qu’une publicité sera en anglais on n’achète pas le produit, chaque fois
qu’un film ne sera pas traduit dans le titre, on ne rentrera pas dans
la salle de cinéma. On ne rentre pas dans un shop, on entrera dans une
boutique. Et dès lors que les publicitaires et les commerçants auront 10
% de moins de chiffre d’affaires, ne vous en faites pas, ils
reviendront au Français. La classe dominante n’a jamais parlé la même
langue que le peuple. Autrefois ils parlaient latin et nous, on parlait
français. Maintenant la classe dominante parle anglais et le français
est devenu la langue des pauvres ; et moi je défends la langue des
pauvres. Voilà, c’est pour ça que je demande qu’on fasse la grève. J’en
ai marre que la SNCF nous fasse des «smiles». J’en ai plein le dos de
cette affaire. Je suis d’accord qu’il y ait une langue de communication,
il y en a toujours eu une. Autant ce genre de choses commence à mettre
la langue française en péril et c’est dramatique. Il y a plus de mots
anglais sur les murs de Toulouse qu’il y avait de mots allemands pendant
l’occupation. Par conséquent qui sont les collabos ?
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