"La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l'exactitude de l'information. Si le citoyen n'est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire." Jean-François Revel - Extrait d'un Entretien avec Pierre Assouline - Novembre 1988

dimanche 17 novembre 2013

Réforme des rythmes scolaires : l’arbre qui cache la forêt

l'analyse du MPEP >>>

Le sujet des rythmes scolaires est un vieux serpent de mer. Les communes sont sommées par le gouvernement de mettre en place la énième réforme avant la fin décembre. Une réforme qui cache ses réels objectifs derrière de beaux discours.

 Un vieux débat, [1]

1922 : les vacances d’été sont allongées. Elles durent 8 semaines pour permettre la participation des enfants aux travaux agricoles. 1939 : les vacances d’été sont à nouveau allongées. Elles durent désormais 2,5 mois. Un calendrier scolaire est fixé avec les vacances intermédiaires de Noël et de Pâques. 1959 : l’année scolaire est aménagée en 3 trimestres (soit 37 semaines de scolarité).
1968 : deux zones géographiques sont créées pour les vacances scolaires.
1969 : en primaire, l’horaire hebdomadaire passe de 30 à 27 heures (fermeture des écoles le samedi après-midi). 1972 : trois zones géographiques sont créées pour les vacances scolaires, sauf les vacances d’été. La coupure hebdomadaire est avancée du jeudi au mercredi. 1980  : un calendrier en zones pour les vacances d’été est essayé. 1986  : le principe de l’alternance sept semaines de classe/deux semaines de vacances est appliqué durant un an. 1989  : la loi d’orientation sur l’éducation (Lionel Jospin) fixe pour objectif le rééquilibrage de la journée, de la semaine et de l’année. 1990 : en primaire, la durée hebdomadaire de la scolarité passe de 27 à 26 heures. 2008  : en primaire, l’école le samedi matin est supprimée et l’horaire hebdomadaire est abaissé de 26 à 24 heures (+ 2 heures d’aide personnalisée pour une partie des élèves).
Cette succession de réformes interroge. Sans compter qu’une réforme a chassé l’autre sans qu’un bilan réel soit fait de la réforme précédente. Celle qui se met en place actuellement ne déroge pas à la règle. Tout au plus quelques pédagogues l’ont-ils fait de leur côté, pour constater d’ailleurs que les conséquences sur les « résultats attendus » des élèves ont été marginales [2]
Qui s’en étonnera ? Agir uniquement sur la durée du temps de classe sans agir sur le rythme de vie des enfants - pris dans son ensemble – a t-il un sens ? Parler du rythme de vie des enfants sans parler du rythme de vie de leurs parents paraît pour le moins absurde. A l’évidence, si le rythme et la qualité de vie des parents leur permet d’être suffisamment disponibles pour leurs enfants, la disponibilité des enfants pour apprendre sera bien plus palpable que n’importe quels bricolages apportés au découpage de la semaine de classe.

 Une évidence : l’école n’est pas en dehors de la société.

Mais parler de la qualité de vie des parents, c’est immanquablement parler d’un certain nombre d’autres choses qui la conditionnent, notamment de leur condition sociale et de leurs conditions de travail. Car comment ne pas penser que le chômage massif et les régressions sociales qui découlent de l’organisation libérale de l’économie impactent dramatiquement la vie d’un nombre grandissant de personnes, notamment leur vie de famille ?
On comprend bien qu’un gouvernement qui voudrait réellement modifier la qualité de vie des enfants – dans et en dehors du périmètre scolaire - devrait remettre en cause les règles de l’économie en vigueur.

 Un débat qui vise à en cacher d’autres, bien plus importants.

Les objectifs de cette réforme ne sont donc pas ceux qui sont annoncés sous la vague caution scientifique des « rythmes biologiques de l’enfant ». Par conséquent ils sont à chercher ailleurs.
Pour le M’PEP, cette réforme a deux objectifs :
  • la poursuite de la mise en œuvre du libéralisme telle qu’elle se fait de manière ininterrompue depuis trente ans ;
  • produire un rideau de fumée sur les conséquences pour l’école de cette politique.

 Une réforme conforme au libéralisme en vigueur.

Au niveau de l’école primaire, les enseignants sont jusqu’à présent encore rémunérés par l’État, mais les locaux, les équipements pédagogiques et les installations sportives, sont à la charge des communes, et ce depuis l’origine. Par conséquent, il existe d’importantes inégalités entre les communes en terme de qualité d’accueil des enfants. Inégalités qui ne sont que très peu atténuées par l’État.
La réforme Peillon - qui diminue le temps de classe quotidien des enfants - va encore accentuer ces inégalités. Car à moins que les familles aient la possibilité de récupérer leurs enfants, ce sont bien les structures municipales périscolaires qui devront les prendre en charge sur le temps ainsi « libéré ». Des moyens budgétaires ont été dégagés au niveau national pour aider les collectivités, mais ils sont loin d’être compensatoires, et surtout, ils ne sont pas pérennes [3]. Les collectivités devront donc faire face à l’essentiel des dépenses.
Conclusion : cette réforme ne changera rien au temps effectif de présence des enfants en collectivité (à moins d’une diminution conséquente du temps de travail de leurs parents) et fera dépendre encore davantage leurs conditions d’accueil aux moyens très inégaux des communes.
Cette logique est donc conforme à la doctrine à laquelle monsieur Peillon adhère ainsi que son parti, le PS : la doctrine libérale de « la saine concurrence ». En accentuant la nécessité pour les territoires de trouver des moyens pour financer les compétences toujours plus nombreuses que l’État leur délègue, cette politique accentue leur mise en concurrence pour attirer des entreprises et/ou une population ayant les moyens de payer des impôts élevés et/ou de payer un accès à des services de qualité.
Après trente ans de libéralisme, nous pouvons aisément prévoir les conséquences de cette logique puisque nous la vivons déjà dans une moindre mesure : les territoires les plus riches sont ceux qui ont déjà les moyens de financer des infrastructures pour se rendre encore plus attractifs. Il résultera donc de la mesure Peillon une ségrégation sociale accrue sur le territoire. En ce sens, on peut dire que cette réforme s’inscrit dans la logique de l’acte III de la décentralisation, ardemment défendue par le gouvernement PS-EELV.

 Vers une modification du rôle de l’école...

Les enfants qui fréquentent les structures périscolaires se voient proposer un certain nombre d’activités, essentiellement sportives et artistiques. Avec l’allongement du temps de fréquentation qu’induit pour les enfants la réforme Peillon, l’importance de ces activités se trouvera grandie, tant en terme de volume horaire que par le nombre d’enfants qui les pratiqueront.
Mais l’institution scolaire ayant particulièrement maltraité ces disciplines dans les derniers programmes et dans la formation des enseignants du premier degré, est-il totalement improbable qu’il s’opère peu-à-peu un glissement de ces disciplines, considérées comme « non-fondamentales », vers le temps périscolaire ? Non, car en réalité il restera peu à faire, surtout si des personnels hors-Éducation Nationale pratiquent des activités qui sont, dans l’esprit de monsieur et madame tout-le-monde, les mêmes qu’à l’école.
Quelle mission resterait t-il à l’école s’il s’opérait un tel glissement ? Probablement les disciplines « utiles » - ou plutôt réduites à un rôle utilitaire – pour répondre aux besoins des entreprises, comme c’est déjà le cas dans l’enseignement supérieur sur le modèle anglo-saxon. Monsieur Peillon ne se cache d’ailleurs pas de vouloir atteindre cet objectif puisqu’il déclare : « L’éducation nationale est capable de changer le contenu de ses diplômes (…) pour répondre rapidement aux besoins de l’économie de ses entreprises ? » [4]. Si l’école élémentaire doit s’en tenir aux « fondamentaux » désignés par cette logique mercantile, deux questions se posent alors immédiatement : quels citoyens se condamne t-elle à former ? Quelle couche de la population se verra (encore plus) défavorisée dans l’accès à la culture ?

 ...et une mise en concurrence des statuts des personnels.

Dans ce contexte de crise économique et de dérégulation, les personnels diplômés d’État et les fonctionnaires territoriaux ont du souci à se faire. Car la plupart des communes n’ont pas les moyens de recruter en nombre suffisant des éducateurs diplômés pour prendre en charge la nouvelle masse d’enfants susceptibles de fréquenter les structures périscolaires qu’induit la réforme. Elles recruteront donc des personnels moins qualifiés, sur la base de contrats plus précaires qui se formeront « sur le tas » et auxquels seront confiées des missions équivalentes à celles des personnels qualifiés.
On sait où mène ce type de dérive. Dans le milieu hospitalier par exemple, l’endettement des hôpitaux conduit ces derniers à recruter des personnels sous-qualifiés pour effectuer des tâches qui devraient normalement incomber à d’autres. Ainsi, le personnel d’entretien est amené à effectué des tâches qui relève des aides-soignantes, les aides-soignantes celles des infirmières et les infirmières, certaines tâches des médecins. Diplômes, qualifications, statuts : tout passe à la moulinette...

 Danger pour les services publics territoriaux.

Si les communes ne trouvent pas les ressources financières nécessaires pour proposer aux enfants des activités de qualité, il s’ouvrira alors un boulevard pour les activités périscolaires privées. Or, le droit européen, qui supplante le droit national en terme de commerce des services, impose aux collectivités territoriales une « égalité de traitement » entre les services publics locaux et les entreprises privées qui officient sur la même activité. Par conséquent, les collectivités pourraient avoir à indemniser financièrement ou matériellement des prestataires privés (écoles de sport, de musique, de cours particuliers en tout genre) au motif que les services publics sont subventionnés.
Non seulement cette disposition coûtera cher aux collectivité, mais elle sera fatale à leurs services publics. Chacun sait en effet que les services publics n’ont pas les mêmes obligations que les entreprises privées (continuité de service, accueil de tous les publics etc .)

 Ne plus laisser les libéraux réformer l’école.

Les réformes qu’on impose à l’école se font au gré des mutations de la société. Que l’école soit réformée pour s’adapter à ces mutations est compréhensible. Mais la question qui devrait faire débat est de savoir à quelle société elle doit s’adapter !
Les réformes importantes ne devraient pas tant s’intéresser aux rythmes scolaires qu’à faire apprendre la coopération et l’autonomie de l’individu et de sa pensée. Mais de telles réformes se feront-elles dans une société qui véhicule prioritairement l’individualisme, la compétition, la rentabilité, l’employabilité... ? Peut-on espérer de Monsieur Peillon, social-libéral, candidat à l’assemblée de l’ultra libérale Union européenne qu’il les fera ?
Utilisant le prétexte des « rythmes scolaires », le gouvernement PS-EELV poursuit la « dénationalisation » de l’éducation nationale engagée de longue date [5]. Une fois de plus, le pouvoir « socialiste » marche dans les pas des gouvernements précédents. A moyen terme, cette réforme s’avérera coûteuse pour les communes tout en creusant encore un peu plus les inégalités. Le M’PEP appelle les maires à faire acte de résistance en refusant de mettre en place le nouveau dispositif et en portant les vrais termes du débat auprès de la population.



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