"La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l'exactitude de l'information. Si le citoyen n'est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire." Jean-François Revel - Extrait d'un Entretien avec Pierre Assouline - Novembre 1988

mercredi 19 juin 2013

L’exception culturelle n’est pas réactionnaire, au contraire !


Rédigé par Hervé Nathan le Lundi 17 Juin 2013



Virginia Mayo/AP/SIPA
Virginia Mayo/AP/SIPA
Certains hommes politiques sont des mauvais perdants, comme José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. Comment qualifier autrement sa réaction au mandat de négociation d'un accord de libre échange bilatéral avec les Etats-Unis confié à la Commission  ? 

Voici le venin que crache notre eurocrate dans un entretien publié par l'International Herald Tribune: l’exception culturelle,  "cela fait partie de ce programme anti-mondialisation que je considère comme totalement réactionnaire", a déclaré M. Barroso. Et d’insister : "Certains (de ceux qui défendent l'exception culturelle) disent être de gauche mais ils sont en fait extrêmement réactionnaires", a-t-il insisté. Et pour bien  poser le sujet  il conclut : « Ils ne comprennent pas les bénéfices qu'apportent la globalisation (des échanges) y compris d'un point de vue culturel, pour élargir nos perspectives et avoir le sentiment d'appartenir à la même humanité". Réactionnaires donc, mais aussi sectaire et anti-humanistes :  voici donc bien habillée pour l'hiver non seulement la position de la France, mais aussi celle du Parlement européen qui a voté pour ce principe à la majorité, et évidemment une bonne partie des intellectuels, artistes et  musiciens à travers l’Europe ET les Etats-Unis. C’est bien connu : le dépit rend méchant et même un peu bête… 
  
Au contraire l’exception culturelle, si on la considère pour ce qu’elle est réellement, préfigure ce que pourrait être une mondialisation réussie. Que constate-t-on si l’on prend l’exemple du marché du cinéma français ? Tout simplement que le cinéma américain représente 40% du marché, quasi à égalité avec la production française, et ce malgré des barrières réelles que représentent des quotas obligatoires de production francophone et en France pour les chaînes de télévision. Que le réseau dense d’écrans de cinéma permet de fidéliser un public (donc des clients), disposé à regarder de nombreux films de tous pays, même en VO, ce qui est rarement le cas aux Etats-Unis ! Oui la mondialisation du cinéma existe en France, mais c’est celle du public.  Pour ce qui concerne l’industrie du cinéma, la situation actuelle qui contraint les producteurs extérieurs à contribuer d’une manière ou d’une autre à la perpétuation d’une industrie en France même, en échange de son accès au marché, représenterait plutôt la version urbaine de la « démondialisation » que son inventeur, le Philippin Walden Bello, voulait appliquer en priorité à l’agriculture. En ce sens, l’exception culturelle, loin d’être réactionnaire, est visionnaire. Elle constitue la preuve vivante qu’on peut construire les relations commerciales sur d’autres bases que le marché librement ouvert à tous les appétits. Et c’est cette possibilité, bien plus que l’enjeu proprement économique du secteur de la culture (3,3% du PIB européen) qui explique la rage soudaine de José Manuel Barroso. Chez les néolibéraux le dogme du marché libre ne souffre aucune concurrence ! 

Reste que Manuel Barroso aurait du mieux se contrôler. La mandat obtenu vendredi soir après 13 heures de négociation lors desquelles la ministre du commerce française Nicole Bricq a bien tenu son rôle, lui permet d’ouvrir des négociations avec les Etats-Unis sur 96,7% du PIB européen. Et même si des garde-fous ont été placés par les ministres sur des sujets comme les « préférences nationales » (comme les normes sanitaires), ou sur les instances d’appel (notamment par les juristes allemands), tout est bien dans la négociation. Et c’est bien le piège dénoncé dans un précédent article : l’exception culturelle pourrait bien n’être qu’un alibi pour faire passer toutes les capitulations, et sacrifier bien des emplois, et bien des secteurs de l’économie, qui n’auront pas la chance d’être classés « culturels » .  

Lundi après-midi, au ministère de la Culture, Aurélie Filipetti fêtait la « victoire de la France » devant un parterre des professionnels de la culture. On se serait cru à la remise des César. « Aurélie », qui vilipendait la « commission ultralibérale »,  était félicitée par les grands anciens, Jack Ralite et Jacques Toubon, et fêtée par les cinéastes, musiciens, auteurs, réalisateurs et autres, rassemblés dans le magnifique salon du Palais-Royal On s’applaudissait beaucoup. Jean-Michel Jarre  a célébré « l’universalité de la création ». Puis un cinéaste, ivre de joie ou d’autres produits, a même affirmé  que « la culture devait être élévée au rang de droit de l’Homme. Qu’elle ne pouvait être une marchandise comme les boulons ou les vis ». C’était beau comme l’Antique. Mais quand on a demandé à la ministre de la culture ce qu’elle pouvait faire pour els salariés de Virgin dont les magasins fermaient le jour même, elle a répondu : « j’ai écrit aux grandes entreprises du secteur culturel pour qu’elles prennent leurs demandes (d’emploi) en considération ».  Conclusion : les licenciés de Virgin, souvent disquaires ou libraires, ne font pas partie de l’exception culturelle. Tant pis pour eux. The show must go on. 
 
 

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